LES CARBONNEAU DU CAZALET A VILHAC

AUX XVIIème ET XVIIIème SIECLES.



La région de tous nos ancêtres de l’Ariège et de l’Aude, depuis le XVIIème siècle, s’étend au nord des Pyrénées, sur environ 30 kms de longueur de l’ouest à l’est et 10 kms de largeur du nord au sud, entre Lavelanet et Quillan. La plupart de nos aïeux toutefois se concentrent autour de Bélesta. Et le berceau de nos Carbonneau se situe sur l’ancien territoire de Vilhac - devenu la commune actuelle de Lesparrou - et plus précisément au Cazalet, métairie aujourd’hui en ruines au sud du hameau d’Engauly. La carte de Cassini signale ces différents lieux au XVIIIème siècle.


Entre Lesparrou et Vilhac, le pays a une altitude de 440 à 760 mètres environ. Arrosé par l’Hers et plusieurs ruisseaux, il est constitué de petites vallées verdoyantes couvertes de champs et de prés. Des fermes isolées et des maisons regroupées en plusieurs petits hameaux sont dispersées çà et là. Sur la hauteur, les collines sont couvertes de bois de hêtres, de châtaigniers, de chênes, de conifères... Au loin se dessine la ligne de la chaîne des Pyrénées, bleutée en été ou enneigée en hiver.


Sous l’Ancien Régime, le territoire de Vilhac fait partie de la Seigneurie de Bélesta qui appartient, depuis le XIIIème siècle, à la puissante famille de Lévis-Mirepoix dont des descendants possèdent encore aujourd’hui une grande partie des terres de Lesparrou.


A la Révolution, en 1791, est créée la commune de Vilhac-Aiguillanes (canton de Bélesta) rattachée d’abord au département de l’Aude puis, en 1794, au département  de l’Ariège.


Au milieu du XIXème siècle, en 1841, la population de  Vilhac-Aiguillanes s’élève à 730 habitants. C’est à cette époque, entre 1837 et 1839, que nos ancêtres Jean Baptiste Carbonneau et son épouse Magdeleine Delpech accompagnés de leur premier fils Laurent né à Vilhac en 1837 quittent la terre des aïeux et émigrent vers la Provence, plus précisément à Berre, dans les Bouches-du-Rhône, où naîtra en 1839 leur second fils Romain Melchior. Après leur départ, le village de Vilhac et les différents hameaux se dépeuplent et la population totale se réduit, en 1911, à 600 habitants, dont quelque 50 seulement à Vilhac. De son côté le hameau de Lesparrou se développe atteignant environ 200 habitants et devient, en 1915, le chef-lieu de la commune (canton de Lavelanet).


Au cours du XXème siècle cependant, la commune de Lesparrou est durement frappée par l’exode rural, comme toute la région, et ne compte plus, en 2006, que 248 âmes réparties entre le village, ses hameaux de quelques dizaines d’habitants chacun (Campredon, La Couronne, Aiguillanes, Engauly, Vilhac…) et quelques fermes. Plusieurs de celles-ci encore habitées au XIXème siècle, dont la Gorce et le Cazalet, ne sont plus que ruines.


Dans les Archives, il est difficile de découvrir nos ancêtres avant le XVIIème siècle, vu l’absence ou les lacunes des registres paroissiaux et la rareté des actes notariés. Pour le XVIIème et le XVIIIème siècle nous possédons les registres de deux églises : celle de "Saint Martin de Vilhac" flanquée d’un cimetière et située dans l’ancien village même de Vilhac, et celle de "Saint Martial d’Aiguillanes" dite aussi de "La Couronne" flanquée également d’un cimetière et située au sommet d’une colline, entre les hameaux d’Aiguillanes et de La Couronne. C’est dans cette dernière que nos ancêtres du Cazalet se rendent, malgré l’éloignement et l’accès difficile, pour les baptêmes, les mariages et les enterrements. L’église actuelle de Lesparrou n’est alors qu’une modeste chapelle qui sera agrandie plus tard, à la fin du XIXème siècle.


Les activités de nos ancêtres, aux XVIIème et XVIIIème siècles, sont les activités rurales traditionnelles de la région. Les "carbouneaux", très nombreux dans cette zone boisée, étaient au Moyen Age, avant que le nom commun ne devînt nom propre vers le XIIIème siècle, des fabricants et marchands de charbon de bois (occitan "carboun"). Une charte de Roger-Bertrand, comte de Foix, mentionne en 1293 "le droit pour tous et chacun de couper les arbres et charbonner dans les forêts". Dans les registres paroissiaux des XVIIème et XVIIIème siècles, le patronyme est écrit parfois sous la forme occitane "Carbouneu" (prononcer "Carbounèou") proche du provençal "carbounié" : charbonnier. Mais nos Carbonneau de Vilhac n’exercent plus ce métier à cette époque, même s’il est encore exercé ailleurs. Par exemple 2 de nos ancêtres père et fils, Thomas et Jean Olive, sont charbonniers à Bélesta au XVIIIème siècle. Et plus récemment 3 frères, Marcel, Louis et Firmin Carbonneau, fabriquent encore du charbon de bois jusqu’en 1995 aux Grassets, à Lesparrou, mais nous ignorons s’ils appartiennent à notre famille…


Avant la Révolution, les Carbonneau sont de modestes paysans à la vie rude dans cette région aux hivers rigoureux et au relief vallonné constitué d’étroites vallées, de nombreuses collines, de terrains pentus à la terre peu fertile et peu propice à l’agriculture. Dans les actes ils sont dits "brassiers" ou "laboureurs". Les "brassiers" sont des salariés qui louent leurs bras à la journée pour des travaux agricoles ou manuels. Ils ne possèdent pas de propriété à l’exception le plus souvent de leur maison et de quelque menu bétail. Les "laboureurs" en principe possèdent, en plus de leur maison, un lopin de terre qui leur permet de subvenir à leurs besoins et un "train de culture", c’est-à-dire un attelage constitué d’une charrue et d’animaux de trait. Ils sont donc un peu plus aisés, ou un peu moins pauvres, que les "brassiers"… Mais dans tous les cas la terre ne nourrit pas ses hommes et ces paysans pratiquent  souvent de surcroît une activité artisanale, notamment pendant la saison morte. Au XVIIIème siècle les 5 fils d’Arnaud Carbonneau sont "laboureurs", mais Martial et Jacques sont aussi, l’un "tisserand", l’autre "tisseur de toile", Bernard est aussi "métayer", Barthélémy aussi "peignier à buis".


Le tissage remonte à la nuit des temps et la fréquence à Vilhac du patronyme Tisseyre qui signifie "tisseur" laisse supposer que cette activité a été exercée par beaucoup et depuis fort longtemps ici, comme partout d’ailleurs. Les principales fibres textiles sont alors la laine provenant des moutons qui paissent sur les pentes, le lin et le chanvre souvent cultivés dans les jardins. En principe les femmes filent à la quenouille, assemblant et torsadant la laine ou la fibre végétale pour la transformer en fil continu ; les hommes assurent le tissage, tâche la plus pénible, tendant et entrecroisant les fils dans le sens de la chaîne et de la trame sur un métier à tisser. Ils vendent leur ouvrage à des voisins ou à des marchands de la ville qui leur fournissent parfois le métier qu’ils n’ont pas les moyens d’acquérir. Pour les paysans de l’Ancien Régime le tissage représente un revenu d’appoint non négligeable.


L’activité de "peigniers à buis" ou "ouvriers en peignes en buis", est propre à la région depuis le Moyen Age. Le bois très dur de cet arbuste fréquent dans les collines sert à la confection d’objets divers et notamment de peignes - peignes à épouiller, à décrasser et à soigner les chevelures - utilisés pour l’usage familial ou vendus à des colporteurs. Le travail est majoritairement pratiqué à domicile par les hommes, avant que ne se créent des usines à peignes. Au cours du XVIIIème siècle, le buis sera remplacé par la corne, puis au XXème siècle par la matière plastique. En ce début du XXIème siècle, fonctionne encore à Campredon, dans la commune de Lesparrou, une fabrique de peignes en corne, la seule d’Europe aujourd’hui…


Par ailleurs, dans la contrée, les hommes de la Préhistoire utilisent déjà le jais, charbon d’un noir brillant, pour la parure et l’on a découvert à Bénaix, au "Dolmen de Morency", un collier de 2 mètres de long de cette époque. Vilhac exploite, dès le XVIème siècle, des mines de lignite qui ne seront abandonnées qu’en 1930. Les hommes prélèvent à la pioche, dans des mines peu profondes ou dans la "Grotte de Madame" longue de 168 mètres, le précieux charbon et le découpent en morceaux. Puis ce sont les femmes qui taillent et polissent les pierres sur une meule de grès arrosée d’eau. Le jais ou "jayet" connaîtra un engouement au XIXème siècle dans toute la France et jusqu’en Angleterre avec la fabrication des bijoux de demi-deuil, colliers, broches, boucles d’oreilles, chapelets, croix, boutons divers, garnitures de passementerie… Jean Tisseyre dit "Touchy", probable père de notre ancêtre Pierre et déclaré à la fois "brassier et mineur", travaille certainement dans une de ces mines.


Le nom Tisseyre est très fréquent à Vilhac. En 1725 Raymond Carbonneau épouse une Philippe Tisseyre, fille de Jean Tisseyre dont il est difficile de connaître avec certitude l’ascendance tant les Tisseyre sont nombreux et porteurs de prénoms identiques. Les sobriquets couramment attribués aident alors non seulement à les caractériser, mais aussi à les différencier ! Celui de Jean Tisseyre dit "Bugarach", père de Philippe, désigne un pic des Corbières de l’Aude et évoque sans doute la taille et la robustesse du personnage décédé vers 80 ans ! Un autre Jean Tisseyre, probable grand-père du précédent, est surnommé "Touchy", sobriquet à rapprocher probablement d’un autre mot occitan le "taïchou" soit le "blaireau". Mais nous ne trouvons aucun de nos Carbonneau  affublé d’un sobriquet…


Les épouses de nos ancêtres Carbonneau quant à elles assurent une nombreuse descendance, comme ce sera la tradition jusqu’au XIXème siècle inclus. Entre 1686 et 1708 Marie Barthe, épouse d’Arnaud Carbonneau, met au monde 9 enfants dont 7 survivent, l’un décédant à 11 jours, l’autre à 18 ans. Entre 1726 et 1742 Philippe Tisseyre, épouse de Raymond, en a 9 à son tour, dont 4 décèdent en bas âge. Entre 1765 et 1774 Marguerite Prat, épouse de Jean, n’en a que 5 mais peut-être est-elle de santé plus fragile puisqu’elle décèdera à 54 ans. Entre 1802 et 1815 Jeanneton Bouissioux, épouse de Bernard, en a 8. Cela fait une moyenne de 7,7 naissances par mère sur 4 générations. On reste étonné de la fécondité et de la résistance de ces femmes qui par ailleurs, à côté de toutes les tâches domestiques, participent souvent aux  travaux agricoles et artisanaux, même si elles n’exercent pas un métier à plein temps comme de nos jours. Dans un acte de baptême de 1774, Marguerite Prat est dite "sage femme" et pratique un ondoiement sur un enfant mourant. Mais sans doute n’est-elle qu’une "accoucheuse occasionnelle"…


 On reste étonné aussi de la longévité de ces robustes paysans. Au vu d’un bref calcul sur les 4 mêmes générations de nos ascendants directs Carbonneau du Cazalet et de leurs épouses, depuis Marie Barthe décédée en 1742 jusqu’à Bernard Carbonneau et Jeanneton Bouissioux décédés  respectivement en 1848 et 1849, on constate une moyenne d’âge des décès de 70 ans (73 ans pour les hommes et 67 ans pour les femmes). Cela est élevé pour l’époque où l’âge moyen au décès est de 30 ans environ à la fin du XVIIIème siècle, même si l’importante mortalité des enfants en bas âge fausse cette moyenne. Et il a été exclu de cette statistique le cas, assez rare pour l’époque, de Jacques Carbonneau qui aurait trop faussé nos moyennes et dont voici l’acte de sépulture daté de 1714 : " Le 30 mars est decede Jacques Carbouneau age de cent troy ans ayant toujours travaillé jusques a sa maladie nayant jamais perdu ses cinq sens de nature jusques au dernier moment il a receu tous les sacrements son corps a ete inhumé le samedy saint dans le cimetiere parroissial de St Martial le 31 mars 1714 en présence de raymond teyssaire et pierre poumard. Jaudou pretre".


Au demeurant pour tous, hommes et femmes, la vie sur ce terroir aux XVIIème et XVIIIème siècles apparaît difficile et rude, et l’on comprend qu’à partir du XIXème siècle, en dépit de l’attrait de la région, de nombreux Ariégeois abandonnent leur village, en quête de terres plus propices et d’une vie plus  aisée.


Le Cazalet n’est plus. Dans le paisible petit cimetière attenant à l’église  "Saint Martial d’Aiguillanes", là-haut en plein ciel, aucune plaque, aucune croix ne rappelle qu’ici furent inhumés, depuis le XVIIème siècle et sans doute bien avant, tant de nos ancêtres connus ou anonymes. Mais en ce début du XXIème siècle leurs descendants perpétuent la lignée, des Pyrénées jusqu’aux Amériques en passant par la Provence et par bien d’autres chemins de France et du vaste monde…


© Colette CARBONNEAU-DIJOUX, 2011.